P.P.P.

Mise en scène et interprétation Philippe Ménard

Compagnie Non Nova

Mercredi 9 mars 2011 à 20h30

Dès 14 ans
Durée 55 min
Tarif D

Une silhouette assise de dos dans un décor de givre, c’est ce que voit le spectateur en entrant. La silhouette se met en mouvement, glisse, ondule, chantonne par moments. Elle se heurte à la glace, pilée, moulée, congelée. Elle jongle avec la transformation des éléments. A la croisée des chemins entre le cirque, la danse, un spectacle qui révèle in extremis son poignant message.

« Personne n’aimerait être à ma place. La glace, c’est froid, c’est coupant quand ça se brise en éclats, ça s’échappe des mains, ça glisse sous les pieds… » Philippe Ménard

Une silhouette assise de dos dans un décor de givre, c’est ce que voit le spectateur en entrant. En fond sonore, des gouttes d’eau s’écrasent comme au fond d’une grotte. Plic ! Plic ! Ploc ! Et assez vite, on s’aperçoit qu’on a froid.

La silhouette se met en mouvement, elle glisse, ondule, chantonne par moments. Elle se heurte à la glace, pilée, moulée, congelée. Comme s’il fallait l’apprivoiser. Elle se frotte au froid, jongle avec le gel, change de robe dans une armoire qui doit être un frigo. Au ciel de ce paysage d’hiver, des globes de glace sont suspendus ; on voudrait qu’ils scintillent, mais curieusement, ils tombent en se fracassant sur la scène. On a peur que l’un d’eux écrase sous nos yeux ce corps gracile, tout occupé à composer avec la transformation des éléments. Heureusement ça n'arrive pas, et la silhouette se penche pour croquer un éclat de glaçon, d’autres fusent sous ses pieds nus. On admire ses prouesses et quand même, on se dit qu’elle doit souffrir. In extremis, on saura pourquoi.

P.P.P. pour « position parallèle au plancher ».

Création et interprétation Philippe Ménard
Assisté de Jean Luc Beaujault
Création lumières Robin Decaux
Régie lumières Alice Ruest
Musique et espace sonore Ivan Roussel
Régie plateau, manipulations Pedro Blanchet
Régie des glaces (en alternance) Jean-Luc Beaujault, Rodolphe Thibaud
Construction des robots Philippe Ragot
Scénographie Philippe Ménard, Jean-Luc Beaujault
Production, administration Claire Massonnet
Captation du spectacle Philippe Devilliers

P.P.P. est une production de la compagnie Non Nova
Coproduction Cirque Jules Verne d'Amiens
Coproduction et résidence Les Subsistances de Lyon

Photos Jean-Luc Beaujault

« Jusqu’à présent, ses spectacles l’ont souvent amené à voyager autour du monde. Avec le dernier, P.P.P., Philippe Ménard voyage aussi. En lui. Et pas du tout comme on pourrait l’imaginer d’un jongleur. Avec de la glace. (…) Tout passe par le corps, dans ce P.P.P., qui veut dire position parallèle au plancher, soit la position du corps après la glissade. Et quelle glissade ! Ceux qui viennent voir Philippe Ménard avec leurs enfants, pensant que ceux-ci vont s’amuser des jeux du jongleur, se trompent de spectacle. P.P.P. n’est pas un jeu, mais une expérience glaciale, dont très vite les congélateurs nous livrent des secrets »
                                                                                                                Brigitte Salino, Le Monde


« La performance est époustouflante. L’art, ici, bouscule les genres. Façon de renvoyer à ce qui est autres, différent, transgenre. P.P.P. ou Pour le Plaisir des Paradoxes. »
                                                                                                              Vincent Braud, wik-lesite.fr


« Dans son solo P.P.P., Ménard semble geler son passé, d’homme et de jongleur. Avec pour tout mobilier trois congélateurs, le jongleur casse son outil de travail. Les balles, de glace, à peine manipulables, lui brûlent les mains et lorsqu’elles tombent, éclatent en verre pilé. Au-dessus de lui, des blocs de glace suspendus menacent de lui briser la nuque. Leur chute rythme la pièce. Leur fonte aussi. Au milieu de ce fatras blanc, le jongleur ne tient pas sur le sol glissant,  ou bien sa robe reste prise à un bloc. De ce parcours du combattant, où un accouchement se termine en ballon glacé, il reste un saisissement. »
                                                                                                Marie-Christine Vernay, Libération


« C’est dans un paysage fendu de lourdes boules qui tombent du ciel et s’écrasent avec fracas sur le sol que l’artiste expose l’autre enjeu de sa vie : son identité sexuelle. Ce corps d’homme devenu féminin avec lequel il jongle depuis des années pour parvenir à l’aimer. L’élégance du geste, l’accomplissement d’une vie passent par une souffrance aussi vive que la blessure du froid. »
                                                                                                      Isabelle Labarre, Ouest France

Gwénola David : Jongler avec de la glace... quelle idée ?
Philippe Ménard : Après avoir passé la moitié de ma vie à faire voler des objets, à viser la prouesse et la beauté de la perfection, j’ai entamé depuis quelques années une rechercher sur l’ « injongabilité ». J’en avais marre de l’objet, de la virtuosité, des formats et de la grammaire de la jongle. Je voulais me confronter à une matière nouvelle, qui développerait un autre imaginaire et provoquerait un autre regard chez le spectateur. Le jonglage aujourd’hui s’est complètement banalisé. Enormément pratiqué en amateur, appris en masse dans les écoles de cirque, évoqué jusque dans le vocabulaire quotidien, il se complaît souvent dans la démonstration et oublie l’art. Pour moi, le jonglage n’est pas décoratif, mais vecteur d’un propos sur le monde, sur l’humain. D’où l’idée de la glace, fascinante, parce qu’en constante métamorphose, un thème essentiel pour moi.

GD : Que vous a appris cette confrontation avec la matière ?
PM : La glace a déjoué toutes mes attentes ! Elle a ses propres lois. Impossible de tricher. Tout ce que j’avais fantasmé s’est révélé irréalisable, tout simplement parce que je ne connaissais pas les exigences de cette matière. Loin de se réduire à de l’eau gelée, elle se décline sous de multiples constitutions : en bloc, compacte, pailletée, moulée, limpide, opaque... Chacune possède des propriétés différentes, de température, de vitesse de fonte, de transparence, etc. Et requiert une utilisation adaptée à ses caractéristiques. La glace ne se laisse jamais dompter, elle signe l’échec du jongleur. D’une certaine façon, elle dicte l’écriture du spectacle. Travailler avec la glace, c’est accepter de recommencer sans cesse. Non pas répéter, mais bien recommencer, parce que son état n’est jamais exactement le même. C’est une matière vivante, qui devient un vrai partenaire de jeu.

GD : L’instabilité de la glace renvoie à la question de la métamorphose, centrale dans votre travail...
PM : Elle me permet d’aborder l’identité comme état précaire, comme passage plutôt que donnée définitive. Ce que je vis en tant que personne transgenre, qui se sent femme dans un corps d’homme. Sujet très glissant... encore tabou dans la société. Le baroque de mon esthétique vient peut-être de cette dissociation entre le corps biologique et le corps intérieur, de ce divorce entre deux identités, l’une visuelle, sociale, l’autre intime, réelle. Le contact avec la glace aiguise la conscience du corps, ne serait-ce que par la douleur qu’elle provoque. La dramaturgie trace en filigrane l’histoire de cette contradiction, de ce désir de transformation et de tous les doutes qu’elle soulève. Le personnage en scène sans cesse se métamorphose. La tension entre le féminin et le masculin se traduit par des oxymores visuels, tels cette catcheuse combattante ou cet Hercule, symbole de la force, habillé en diva. L’écriture reste cependant ouverte : à chacun d’inventer sa lecture. On peut voir aussi dans l’évolution de la matière une métaphore de l’existence, qui s’achève par la disparition dans une flaque d’eau.

GD : Vous brisez avec jubilation des boules glacées en les lançant contre le sol. Cette façon de casser l’outil marque-t-elle la libération du jongleur ?
PM : Ce geste, presque enfantin, montre mon détachement de l’objet. Des choses du passé peut-être aussi. Contrairement aux balles en silicone habituellement utilisées, qui reviennent à la figure du jongleur dès qu’il les laisse tomber au sol, comme pour lui faire remarquer sa faute, mais lui donner tout de même une deuxième chance, celles-ci s’écrasent, définitivement. A la moindre erreur, elles se brisent, disparaissent. Il n’y a pas de second rebond, pas de seconde chance.

Propos recueillis par Gwénola David, Mouvement, www.mouvement.net